Sarkozy lance les états généraux de la presse au moment où Marseille vit le plus cinglant mercato journalistique post-électoral

En ouvrant les états généraux de la presse, jeudi 2 octobre, Nicolas Sarkozy pointe la « crise structurelle due à la révolution numérique » que traverse ladite presse depuis 30 ans. Une crise « bien française » précise-t-il, non sans remarquer l’évidence, « la perte de confiance entre les journalistes et les lecteurs » avant de conclure « qu’Internet et les gratuits aggravent les problèmes ; ils ne les ont pas créés. »

Rarement un chef de l’État ne s’était posé avec autant de force en défenseur de la presse écrite payante d’opinion. C’est peu dire que cet exercice inédit provient d’un homme qui entretient des rapports complexes, fascinés et opportunistes, avec les médias. Une « gouvernance médiatique » analyse le sociologue Daniel Muzet et, selon Patrick Bartement, directeur général de l’OJD,  » en 2007, il y a eu 252 couvertures sur l’univers Sarkozy… qui a fait vendre 110 millions d’exemplaires de plus qu’en 2006. »

Cette excellente connaissance du monde médiatique, le président de la République la doit d’abord à ses amitiés avec la quasi totalité des grands patrons de presse : Martin Bouygues (TF1, parrain de son plus jeune fils), Arnaud Lagardère (Hachette, le Monde interactif, ancien patron de toutes les publications du sud-est dont La Provence, Var, Nice et Corse Matin, « un frère »), Vincent Bolloré (Direct 8, celui du yacht prêté après l’élection présidentielle), Bernard Arnaud (les Echos), Nicolas Beytout, la liste est longue…

Les accusations d’interventionnisme aussi, aux limites d’une démocratie dont les fondements demeurent la séparation des pouvoirs, notamment le quatrième, celui d’informer librement. Et les soupçons s’accumulent : empêcher la publication d’un article du JDD (Journal du dimanche) sur le non-vote de Cécilia au second tour de la présidentielle, la mise à l’écart d’Alain Genestar de Paris-Match pour avoir publié les photos de ladite Cécilia aux bras de son « compagnon » Richard Attias, le départ de PPDA du 20h qui refusait l’arrivée à la direction de l’information de TF1 de Nicolas Beytout – « l’ami du Figaro » – après avoir mal digéré celle de Laurent Solly, ex-directeur adjoint de campagne du candidat Sarkozy… Et puis la nomination de Christine Ockrent, épouse de son ministre des affaires étrangères, Bernard Kouchner, à la direction générale de France Monde, et puis, et puis…

Pas de quoi initier des états généraux de la presse sous les meilleurs auspices. Il y a, dans cette initiative, comme un goût de suspicion sur l’un des sujets qui préoccupe le plus un chef de L’État, névrotiquement obsessionnel sur ces questions. Ne préjugeons pas néanmoins de la qualité des 4 groupes de réflexion mis en place avec des professionnels hautement estimables.

Plus localement en revanche, on fait moins dans la dentelle. Et les tendances nationales semble prendre chez nous, à Marseille, des tournures digne du raffinement de nos gouailleuses poissonnières du Vieux Port. La chose pourrait-être sympathique si elle n’était pas grave. Jamais, en effet, Marseille n’avait vécu un tel bouleversement dans le contrôle et la gestion de l’information par un pouvoir à l’agonie.

Nous soulignions, ici-même, durant les municipales, combien le rachat du quotidien La Provence par le groupe Hersant s’était presque passé dans le bureau du maire de Marseille. Combien aussi La Chaîne Marseille (LCM) se devait d’être aux ordres de l’Hôtel de ville. Et voilà que la chasse aux sorcières a commencé, comme jamais Marseille ne l’a vécue. La saison des transferts à l’Olympique de Marseille a sûrement donné des idées. Récit local.

Marseille, un tsunami journalistique…
Juillet 2008, c’est par un communiqué cinglant que le Syndicat national des journalistes (SNJ) de La Provence est monté au créneau. Soulignant «l’interventionnisme du P. d-g», le syndicat majoritaire estime à propos de la réorganisation en cours, marquée par une quarantaine de démissions de journalistes ou photographes qui ont fait valoir la clause de conscience et de cession (article L.761-7 du Code du travail), par conséquent quitté l’entreprise ou sont en passe de le faire. En « fait de mise en marche, il s’agit plutôt d’une mise au pas de la rédaction». Pour le SNJ, «la pluralité et l’indépendance de la rédaction (sont) mises à mal.»

Depuis son rachat en début d’année par le Groupe Hersant Media (GHM), la tension était perceptible dans la rédaction. Si la crise de l’immobilier servait de prétexte officiel aux soucis financiers du quotidien régional (moins d’achat d’espaces publicitaires), il ne faisait aucun doute pour tous les observateurs que la baisse conjointe des ventes et des recettes publicitaires -moins 20%- avaient des causes… Plus politiques.

En pleine élection municipale, la nouvelle gouvernance du quotidien avait été mise au jus très vite. Il fallait sauver le soldat Gaudin, coûte que coûte, l’Elysée contrôlait l’affaire de près. Le cédant (Lagardère) et l’acquéreur (le groupe Hersant, détenu par Dassaut communication) étaient des amis intimes du président. La deuxième ville de France ne pouvait tomber sans écorner directement l’aura de Nicolas sarkozy. De fait, les informations publiables émanaient du cabinet municipal en place.

Si quelques journalistes tentaient de faire leur boulot correctement, non sans mal, la ligne éditoriale et les angles des articles publiés avaient suscité l’ire du candidat Jean-Noël Guérini. Ce dernier estimait que la couverture journalistique de sa campagne était loin d’être objective. On ne pourrait l’en blâmer tant nous avions stigmatisé ici-même, jour après jour, l’évidence.

Plus encore, bien des oreilles marseillaises avaient entendu les propos peu amènes de Didier Pillet, tout nouveau P.d-g de La Provence à l’encontre du candidat de gauche. Sûrement la faute d’un « bleu bite », très éloigné des réalités politiques locales, lors d’un déjeuner mondain avec madame le Maire d’Aix-en-Provence, Maryse Joissains-Masini, le 18 juin :  » Je vais débarrasser Marseille du petit Corse ! ». Les protagonistes ont nié.

La victoire de Guérini aux cantonales, augmentant encore sa majorité au riche, très riche, Conseil général des Bouches-du-Rhône, a tôt fait de voir fondre l’une des principales sources de publicité locale. Une faute grave dont la publication aura bien du mal a se remettre. Sortir du bois aussi vite était idiot. Démontrer l’évidente bêtise n’a pour prix que l’irrespect. Fieffé patron…

Au-delà des anecdotes, les faits s’enchaînent. S’en suit un tsunami journalistico-politique. La fuite des plumes. Celles qui intègrent désormais les cabinets politiques, de gauche s’entend. Il faudra bien, un jour, oser la question : pourquoi ? Bien sûr que lesdites plumes doivent faire vivre leur famille, bien sûr qu’elles pensent garder leur indépendance morale. Bien sûr que tout se comprend avec de la compassion.  Pourtant, il reste en mémoire les maîtres du journalisme qui préféraient l’indépendance à la soupe. Quel qu’en soit le prix, si douloureux soit-il, un sacerdoce, une source d’initiatives bénéfiques. Michel-Philippe Baret, chef du service politique, a été l’un des premiers à partir, en juin dernier, pour rejoindre le cabinet du Président de la Région PACA, Michel Vauzelle.

A Aix, l’historique Hervé Nédelec a fait valoir lui aussi sa clause de cession et a quitté le quotidien. Il a choisi l’université Paul Cézanne en prenant la direction de l’Isim, l’Institut Supérieur de l’Information et des Médias.

A Marseille, après la mise au placard des deux journalistes en charge du suivi politique des municipales, Laurent Léonard et Christine François-Kirsch, tous deux soupçonnés d’avoir été trop indulgents à l’égard du candidat socialiste, le service politique de La Provence a, bien entendu, été remodelé. Prennent le relai un ancien de Marseille l’Hebdo , Philippe Faner, et un ancien du service culture, François Tonneau. La fidèle Marjory Chouraqui et l’énigmatique Florent Provansal composent aussi la base de la nouvelle équipe chargée de veiller à la ligne éditoriale fixée par ledit sieur Pillet.

La mutation forcée de Marseille l’Hedbo
L’Hebdomadaire était sur la sellette depuis le changement de propriétaire de La Provence, dont l’hebdo est une filiale. Ce n’est pas un secret que d’affirmer combien l’ambiance entre l’hebdomadaire et le quotidien était détestable, bien avant les échéances électorales. Le David voulant jalousement garder son indépendance face à un Goliath hyper puissant, lui reprochant, paradoxalement, son manque de promotion dans les colonnes du quotidien.

Mêmes causes, mêmes effets. Jean-Michel Gardanne et Gilles Rof, les responsables de la rédaction, l’ont quittée. Le premier a rejoint le cabinet du Président de la Communauté urbaine Marseille Provence Métropole, Eugène Caselli, au titre de conseiller spécial à la communication, Gilles Rof a, quant à lui, préféré se tourner vers la production de documentaires.

Après moult tergiversations, il s’agissait d’anesthésier ces quelques journalistes trop libres, disons trop indépendants. Il convenait donc de transformer le titre. Les cabinets conseils ont été mis à rude épreuve : un supplément féminin, culturel ?  Le choix est fait et cette semaine, vous pourrez acheter une nouvelle version du titre… La politique en est bannie, bien sûr ! L’hebdomadaire va être « recentré sur l’économie, l’art et l’art de vivre avec une équipe composée de quatre rédacteurs, un secrétaire de rédaction et un chef de service » d’après le P. d-g de La Provence.  Ce dernier a nommé un nouveau « responsable » , Guilhem Ricavy, qui travaillait jusqu’alors au quotidien gratuit Marseille Plus, et l’a chargé début juillet de « présenter un nouveau projet ». C’est fait. A l’heure de la crise financière internationale, vous pourrez, à tout le moins, vous passionner pour la décoration !

La plupart des journalistes qui ont travaillé pour le titre, nous les avons rencontré ces dernières semaines, ne mâchent pas leurs mots. Il s’agit bien d’une « volonté délibérée de faire taire un titre » dont le « ton libre et impertinent » a parfois gêné la municipalité.

Ils citent encore l’exemple précis de l’affaire des visages d’américains pendant les municipales. Explication. Jean-Claude Gaudin et ses colistiers apparaissaient en effet sur les affiches officielles entourés de toute une série d’hommes, de femmes et d’enfants… américains. Ces visages avaient été achetés sur le site d’une banque d’images américaine bien connue, Getty Images. L’information, révélée par Marseille l’Hebdo pendant la campagne, a été largement reprise par les médias nationaux, dont Canal +. Impardonnable, de quoi tuer la publication. Ainsi fait…

LCM, La Chaine Marseille n’échappe pas à la tourmente
Après la démission forcée du patron Pierre Boucaud, c’est l’ami fidèle de Jean-Claude Gaudin, Jean-Pierre Foucaud qui devient le P.d-g. Parachuté quelques mois plus tôt de la rédaction parisienne d’Europe 1, le directeur de l’information et des programmes, Donat Vidal-Revel, en est devenu directeur général délégué, sans trop connaitre ses attributions et sa marge de manœuvre. Puis, surprise, au cœur de l’été, il démissionne, dégouté, puis quitte Marseille pour rentrer à Paris. Là, il devient directeur général adjoint en charge de la rédaction de Radio Classique, trop heureux d’entrer dans le prestigieux Groupe LVMH. Ledit groupe, bien sûr, détenu par l’un des meilleurs amis du président de la République.

Pour LCM, la main mise de l’équipe UMP de la Mairie de Marseille ne peut se voir que si l’on observe avec attention le conseil d’administration. Le 2 juin 2008, c’est l’ancien directeur de la communication de la Mairie, Guy Philip, actuel directeur général du Groupe Hersant Media dans le sud, qui est désigné par le groupe La Provence comme représentant permanent.

Autre personnalité cooptée le 18 décembre 2007, Jean Ticory, Directeur des investissements et des participations de la Caisse d’Epargne Provence-Alpes-Corse, proche de Charles Milhaud (ex président du directoire de la Caisse d’Epargne et conseiller municipal UMP depuis le 16 mars dernier) et de Guy Teissier, Maire des 9° et 10° arrondissements de Marseille, entre autre président de la commission de la Défense de l’Assemblée Nationale.

Tout ce monde se connait bien, s’aime bien et défend les intérêts de ses amis.

Pour compléter le tout, le directeur régional de France3-Méditerranée, Daniel Grillon, vient de prendre, il y a quelques jours, ses nouvelles fonctions comme Directeur général de LCM. Ce dernier semble occuper aussi le poste de directeur de l’information, au grand désespoir des deux jeunes (mais efficaces) responsables de l’information et des programmes respectivement : Anne-Sophie Maxime et Damien Nicolini. Les remuants journalistes Florent Bonnard et Yann Dieuaide sont eux nommés Chef d’édition afin de les responsabiliser. Aucune surprise depuis, les reportages du journal télévisé ressemblent comme une goutte d’eau à l’illustration des pages de La Provence. Une rumeur laisse même entendre que la rédaction de LCM pourrait déménager au 248, avenue Roger Salengro, siège de La Provence. A suivre…

Jamais, disions-nous, Marseille n’avait vécu de tels chambardements en matière d’information, sans que quiconque, au fond, ne s’en émeuve. Une vraie république bananière… Le tout est passé presque discrètement.

Ici, la presse est désormais muselée. Reste la très pauvre et peu lue Marseillaise, victime des incroyables et suicidaires choix des derniers apparatchicks communistes en place. Les journalistes galeux ne sont plus là, les poils à gratter ont été aspirés et les francs tireurs écartés. Sur le net, d’autres tentent l’aventure de la presse alternative de manière un peu poussive, il faut bien l’admettre. Pour l’heure…

16 Commentaires

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16 réponses à “Sarkozy lance les états généraux de la presse au moment où Marseille vit le plus cinglant mercato journalistique post-électoral

  1. christine

    Pour votre info, j’ai moi aussi quitté le journal La Provence en août, pour les raisons que vous expliquez.
    Bien amicalement, christine François-Kirsch

  2. bistouriactif

    Ce récit est consternant.
    Maintenant, où va t-on lire des vrais indiscrets ?

  3. vera

    ce que vous rapportez est vrai, pour l’essentiel. mais il ne faudrait pas croire que la main mise du pouvoir sur « la provence » a commencé avec son dernier pdg. ni non plus que tous les preux journalistes qui ont quitté le titre récemment l’ont fait parce que leur « déontologie » était mise à mal. à aix en provence, la collusion entre le journaliste « historique » que vous citez et le pouvoir est, elle aussi, hélas, historique. s’il n’y avait pas eu la possibilité de partir avec le pactole de la clause de cession, la plupart se seraient accomodés d’une « mise au pas » dont, finalement, ils avaient depuis longtemps intégré les règles. enfin tout cela reste très triste pour la presse et son image, au-delà des histoires personnelles…

  4. christine

    Je souhaiterais quand même effectuer une légère mise au point à votre article: si une cinquantaine de journalistes a quitté La Provence et l’Hebdo, c’est, pour la très très grande majorité, parce qu’il y avait à la clé une clause de cession, c’est-à-dire pas mal d’argent. Un jackpot, noatmment pour les anciens. Ne confondez pas les choix des uns et des autres. Et votre omission est préjudiciable à votre raisonnement.
    Bien amicalement
    Christine François-Kirsch

  5. vista

    La vraie question de tout ça, hormis l’ego d’un PDG en mal de reconnaissance, c’est bien: mais pour quoi faire?
    La Provence perd des lecteurs, puis des annonceurs (et je ne parle même pas des 2 millions et quelques d’euros du conseil général supprimés), Lhebdo est tué alors qu’il touchait des gens qui ne lisaient pas la Provence; on privilégie des trucs aussi débiles que FBOne; Gaudin est au plus mal.
    Alors? Est-ce quelqu’un va enfin expliquer pourquoi on s’est débarrassé des journalistes pas trop mauvais, pourquoi on tente par tous les moyens de dégoûter les bons qui restent… Pourquoi la politique (au sens large: on peut y inclure, la rue de la Rép par exemple, pas abordée, les sujets surréalistes sur limmobilier dans le nord et dans le sud en plein crise internationale) n’est-elle permise que si elle sert la mairie (où est l’info de la veste monumentale de Gaudin au sénat: il n’est plus que 4e vice-président!!!).
    Why, tell me why tell me why…
    Et quel est l’intérêt de Hersant dans tout ça???

  6. christine

    Euh, bistouriactif, pour les indiscrets, j’en ai plein les placards. Je pense faire un vide-grenier…

  7. monte christo

    Gaudin quatrième vice-président ? C’était dans « L’Hebdo » de mercredi dernier. Le dernier de la formule historique…

  8. bistouriactif

    Après le jeudi à sa naissance, le mercredi pour prendre la pub des sorties cinéma, l’hebdo va maintenant sortir le mardi. Pour aboutir à sa mort dans quelques mois ?

  9. J’ai créé un sous groupe « médias » sur le réseau d’habitants Peuplade.
    http://www.peuplade.fr/marseillaisetmedias
    J’y reprends votre article qui sera lu je l’espère par bon nombre des bientôt 10.000 Marseillais qui fréquentent le site.
    J’aimerai aussi beaucoup organiser une conférence débat grand public sur le thème « nos médias locaux sont-ils encore indépendants ».
    Qui me suis sur ce projet ?
    Marianne
    06 81 11 29 29

  10. Il me semble que Christine François Kirch en a trop dit… ou pas assez ! 🙂

  11. christine

    Jojomigrateur, que veux-tu donc savoir??? pourquoi je suis partie? C’est pas un mystère.
    où je vais? Ce que je sais?
    Ca n’intéresse pas grand monde, honnêtement… Et c’est tant mieux d’ailleurs.
    Les vrais problèmes sont rue de la République, pour paraphraser une réplique d’un film très drôle (les maris les femmes les amants) qui disait: les vrais pbs sont à Beyrouth.

  12. robert

    Décidemment cet article aura fait le tour de toutes les rédactions marseillaises …

  13. Jipé

    Que c’est beau ! Que c’est courageux ! Un article qui dénonce et que n’assume visiblement pas son auteur, qui a oublié -zut – de le signer !

  14. christine

    Et toi Jipé, qui es-tu derrière ce pseudo somme toute courant?

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