Marseille n’est pas encore prête à accueillir « son Atlantis »

Dubaï – Sous un soleil de plomb, avec pour seul décor un colosse de béton haut de 100 mètres, pose fièrement un homme de 73 ans face à un parterre de journalistes et de photographes (www.daylife.com/topic/sol_kerzner). Cependant, ne vous fiez pas aux apparences : sur cet oasis artificiel de 17 hectares, le géant n’est pas celui que l’on croit. Avec une fortune dépassant très largement le milliard de dollars (en ces temps de pessimisme économique et financier, épargnons-nous la désobligeante exactitude des chiffres…), et une chaîne d’hôtels de luxe allant des Bahamas à Sun City (Afrique du Sud) en passant par l’Ile Maurice, Sol Kerzner dirige une entreprise qui ne connaît pas la crise.

Inventeur de génie pour les uns, destructeur environnemental pour les autres, ce natif de Johannesburg est à l’origine des plus gros complexes hôteliers du monde et l’ouverture prochaine d’Atlantis The Palm, le 24 septembre à Dubaï, ne dérogera pas à la règle. Le terme « complexe » dénigrerait presque, par son manque d’éloquence, le travail titanesque réalisé depuis plus de trois ans : toboggans géants, espèces tropicales à profusion, plage de sable fin longue d’1,4 km, restaurants gastronomiques multi-étoilés, habitat marin abritant 65000 poissons, chambres dotées des technologies dernier cri. Tout ici n’est que luxe, calme et volupté…version XXL !

Retour à Marseille – L’atterrissage est plutôt brutal ; certes, le soleil est au rendez-vous mais nous sommes loin, très loin, de la démesure et de la débauche de luxe affichée sans complexe par le « Dubaï new look ». Pourtant, depuis quelques mois, la cité phocéenne est secouée par un véritable tremblement de terre médiatique, provoqué par des négociations à couteaux tirés entre opposants et défenseurs du projet de construction d’un hôtel quatre étoiles, en lieu et place de la Sucrerie Giraudon aux Catalans.

Puisqu’il est préférable de décliner le positif dans le négatif, alors prions pour que la Bonne Mère protège encore longtemps ses enfants de l’ego surdimensionné et des ambitions démesurées de Sol Kerzner…

Un hôtel ou un symbole ?
Face à l’ampleur de la grogne, un bref rappel des faits ne serait pas…un luxe. Le feuilleton, digne d’un soap opéra, débute après la publication, d’un article dans La Provence, en date du 08 juin 2008, destiné à lever le voile sur un projet hôtelier dans le 7ème arrondissement de Marseille, porté selon la Mairie par un groupe familial privé dont la divulgation du nom relève du sujet tabou.

Le premier point noir de ce dossier concerne l’emplacement géographique de l’hypothétique l’hôtel, à savoir le terrain occupé par la SA Giraudon et Fils, jouxtant le célébrissime Cercle des Nageurs. Pour ceux qui ne connaîtraient pas, il s’agit d’une entreprise, vieille de plus de 100 ans, jouissant d’un tel ancrage provincial qu’elle fait partie intégrante du patrimoine marseillais, au même titre que la Savonnerie du Midi. Ainsi, lorsqu’il fut question de démolir ce « sanctuaire pour répondre à de bas instincts touristiques », le projet a aussitôt répandu un parfum doux-amer de scandale. Rappelons que lesdits locaux de la Sucrerie se démarquent davantage par leur obsolescence que par leur esthétisme et surtout, que l’actuel dirigeant, Jean-Charles Bagnis, n’exclut pas une délocalisation de la société sur la Zone Industrielle de Vitrolles, en cas de vente du site de 6000 m².

Deuxième souci, le contenu du projet. Au nom d’une requalification urbaine et de valorisation du littoral, la Municipalité envisage une remise à neuf de la plage des Catalans et de ses abords immédiats. La volonté de redorer le blason de ce quartier emblématique est clairement affichée mais, une disposition va, à elle seule, éclipser les bonnes intentions de M. le Maire : la construction d’un complexe hôtelier quatre étoiles, haut de 41 mètres, doté d’un centre de thalassothérapie haut de gamme sur trois niveaux et de ce qui se fait de meilleur en terme de gastronomie.

Afin de légitimer le package, les porteurs du dossier, en fins businessmen, n’oublient pas de sortir leurs meilleurs arguments vente : « cette installation se fait dans le cadre du développement durable. Il n’y aura aucune pollution atmosphérique ni sonore » ; ajoutons à la promesse de respect écologique, une bonne dose de création d’emplois, savamment calculée et vendue par les même décideurs, et le tour est joué… Si ce n’est qu’à Marseille, la sauce n’a pas pris, loin s’en faut. Peut-être eut-il fallu solliciter les conseils du Maître Kerzner, lui qui, à coup de millions injectés, est parvenu à rallier à sa cause le désert dubaïote.

La dernière ombre au tableau met en avant la réaction des politiques et habitants du quartier, touchés par le projet. Dans le camp des premiers, le débat se déroule sur fond d’ambiance survoltée et discussions houleuses, témoignant de l’extrême complexité de l’affaire.

L’opposition, menée par le maire de secteur, Patrick Mennucci, est claire : la validation du complexe hôtelier passe par une remise à zéro du projet, une concertation entre les riverains et les pouvoirs publics, une transparence des modalités de financement et un éclaircissement des possibilités d’aménagement. Il rappelle également que toute décision modificative du plan local d’urbanisme étant directement liée à Marseille Provence Métropole (MPM), « n’importe quel projet immobilier ne pourra se réaliser dans le quartier».

Le maire, Jean-Claude Gaudin, quant à lui, précise que ce projet sensible doit être revu dans sa globalité. Voulant officiellement offrir « un lieu qui plaise à tous », mais craignant officieusement de s’attirer les foudres de la population, il prône les vertus de la consultation et de la concertation. Le conseiller communautaire (UMP) Gérard Chénoz s’essaie avec plus ou moins de réussite à l’exercice de l’apaisement populaire avec une formule, laissant dubitatif : « il n’y a pas lieu d’être inquiet ».

Dans le camp des seconds, le drapeau blanc brandi par les élus UMP a fait un effet bœuf : une forte mobilisation et une solidarité sans précédent animent désormais les riverains. Les banderoles « Non à l’hôtel de 41 mètres » ornant les balcons décorent le quartier et les pétitions regorgent de nouveaux signataires chaque jour.

Panique à bord
A ce jour, la seule chose dont les riverains soient sûrs est que l’hôtel de la discorde verra bel et bien le jour. Néanmoins, la hauteur de construction du bâtiment sera strictement réglementée, Roland Blum, 1er adjoint au Maire, fixant cette dernière au niveau de toiture du Cercle des Nageurs. « Il est impensable d’aller plus haut et nous souhaitons même que ça aille plus bas », dit-il en guise de conclusion.

Petite Marseille deviendra donc grande mais pas à n’importe quel prix ni à n’importe quelle hauteur ; cette indispensable concession pointe du doigt une des spécificités majeures de la ville, en l’occurrence son attachement viscéral aux valeurs de quartier. En effet, la cité phocéenne navigue depuis toujours entre deux eaux : d’un côté, elle affiche l’ambition de se ranger parmi les grandes villes européennes et d’un autre, en ses temps d’urbanisation massive, elle surprend par un profond respect pour les valeurs traditionnelles de ses quartiers, formant des « micro-villes ».

Ainsi, bien plus qu’une simple question architecturale, les élus sont confrontés au Casse-tête typiquement marseillais, celui de l’indispensable conciliation entre la modernisation de la ville et la protection du sentiment d’appartenance à un secteur géographique, cher à la population. D’autant qu’il faudra nécessairement changer de braquet, Marseille-Provence 2013 et ses millions de visiteurs obligent…

Sol Kerzner parviendrait-il à résoudre l’équation ?

1 commentaire

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Une réponse à “Marseille n’est pas encore prête à accueillir « son Atlantis »

  1. Bonjour

    J’apprécie votre blog, mais pour ce billet, je trouve un peu caricatural de faire un parallèle avec Sol Kerzner et son « Atlantis », et le « modeste » projet hôtelier des Catalans.

    Je n’ai malheureusement pas le plaisir d’être des Catalans. Aussi, je ne suis pas partie prenante à cette affaire, mon avis ne vaut que comme marseillais.

    Le sentiment d’appartenance, le « profond respect pour les valeurs traditionnelles de ses quartiers », ne veut pas dire figer l’architecture, ne pas oser des gestes architecturaux (trop rares) qui inscriraient Marseille dans la modernité. Conserver, faire évoluer, détruire, reconstruire, dédier à de nouveaux usages, …, c’est la vie d’une ville qui se renouvelle continuellement sur elle-même. Le cycle « biologique » et normal de l’urbanité.

    Mais il y a besoin d’une indispensable concertation, d’une pédagogie de l’urbanisme local (et global) inscrite dans un projet pour la ville, pour l’arrondissement et le quartier.

    C’est ce qui manque cruellement dans ce projet d’hôtel au Catalan, et plus généralement dans l’urbanisme marseillais.

    Depuis des années, les bâtiments poussent comme des champignons, sans véritable gestes architecturaux, sans liens ni temps pour tisser un dialogue entre le politique, le social, et le bâti. Le petit monde marseillais des initiés de l’aménagement, des promoteurs et des spéculateurs, fonctionnent en circuit fermé. Sorte de « black-out » sur leurs décisions, leurs projets. On sait quand c’est presque trop tard, jamais l’on ne soumet une vision urbaine à 3, 5, 10, 20 ans. Le citoyen est dépossédé de son droit à connaître et influer sur les projets qui vont modeler son quotidien local.

    Aussi, nous n’avons pas besoin de Sol Kerzner, mais de plus de démocratie locale, de concours d’architecture pour la construction comme pour la rénovation des quartiers, d’un dialogue social permanent sur les visions d’aménagement, pour répondre honorablement au défi de Marseille 2013 tout autant que pour être une grande et digne capitale euro-méditerranéenne.

    Cordialement,
    Héloïm Sinclair

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